• Colloques / Journées d'études,

Journée d'étude "Le corps impropre : entre phénoménologie et philosophie sociale"

Publié le 20 janvier 2023 Mis à jour le 23 janvier 2023

Journée d’études organisée par Paula Lorelle (Archives-Husserl/UCLouvain) et Jean-Baptiste Vuillerod (Université Paris Nanterre/Université de Namur).

Date(s)

le 26 janvier 2023

9h-18h
Lieu(x)

Bâtiment Paul Ricoeur (L)

Université Paris Nanterre, jeudi 26 janvier, Salle des conseils (4e étage du bâtiment Ricoeur) 
 



Argumentaire



Le concept philosophique de « corps propre » apparaît en France et Allemagne (Leib) au tournant du 18ème et du 19ème siècle. Il désigne ce corps qui, contrairement aux autres corps, est vécu comme « sien » par le sujet et mû par sa volonté. Avec ce concept s’ouvre alors le champ descriptif de l’expérience corporelle, ou du corps tel qu’il est vécu en première personne, subjectivement. Repris par Husserl et développé par toute la tradition phénoménologique (Patočka, Sartre, Ricœur, Merleau-Ponty, Henry), il permet de décrire l’expérience corporelle depuis ses différentes dimensions : spatiales, perceptives, pratiques et affectives.
 
Mais les théories du corps propre affirment l’unité indivisible de l’esprit et du corps au sein de l’expérience corporelle et supposent un rapport non problématique à son propre corps dans l’interaction avec le monde. Elles ont fait l’objet de critiques, en particulier dans des perspectives féministes ou antiracistes. Dans Le Deuxième sexe, Simone de Beauvoir s’attaquait déjà implicitement aux théories du corps propre développées par Jean-Paul Sartre et Maurice Merleau-Ponty. Là où les phénoménologues masculins exposent le rapport immédiat et non problématique à son propre corps, Beauvoir met en évidence certaines expériences négatives que les femmes font de leur corps : une expérience biologiquement aliénante, socialement construite et médiatisée par le regard masculin. Une critique analogue peut être trouvée chez Franz Fanon dans Peau noire, masques blancs, lorsqu’il insiste sur la relation d’étrangeté qui s’instaure dans le rapport à soi à travers le regard des blancs. Face à l’enfant qui s’exclame « Maman, regarde le nègre, j’ai peur ! », c’est un point de vue extérieur que la personne racisée est conduite à prendre sur son propre corps.
 
À l’aune de ces critiques, doit-on conclure que les théories phénoménologiques du corps propre sont essentiellement des théories de l’homme blanc, en bonne santé, dans la force de l’âge ? Il n’est pas certain en tous cas qu’elles permettent réellement de décrire l’expérience vécue des femmes, des personnes racisées, mais aussi par exemple des personnes en situation de handicap ou des personnes âgées. Le « propre » des phénoménologies du corps ne signifierait alors pas uniquement la « possession » de ce corps qui est nôtre et qui nous appartient, mais référerait aussi insidieusement à une norme : au « corps propre sur soi » excluant ou dévaluant de fait les corps vils, sales, dont on ne veut pas. Ce concept produirait alors une double exclusion : non seulement l’exclusion des corps qui ne correspondent pas à cette norme silencieuse, mais aussi, plus généralement, l’exclusion de toute expérience corporelle de l’impropriété.
 
Dès lors, le corps vécu ne peut-il et ne doit-il pas être repensé en deçà du « corps propre », comme « corps impropre » ?

Ce « corps impropre » renverrait à l’expérience problématique que l’on fait de son corps en raison des normes sociales et historiques qui surdéterminent les relations intersubjectives, ou en raison des données biologiques et des souffrances physiques (aussi surdéterminées socialement) qui constituent nos rapports à nos corps. Il désigne alors tous ces moments où le corps est vécu comme « en trop », « pas à sa place », « non conforme », parce qu’il serait « trop gros », « trop laid », « trop vieux », ou « trop sexué » ; tous ces moments où l’on aimerait que le corps disparaisse ou s’invisibilise parce qu’il s’agit d’un corps féminin ou d’un corps de couleur, ou bien parce qu’il s’agit d’un corps abîmé, d’un corps souffrant. L’interrogation sur les corps impropres rejoint ainsi les discussions contemporaines sur les corps vulnérables et les inscrit dans une réflexion plus générale sur le rapport entre le corps, la normativité et les rapports sociaux. Elle croise aussi les réflexions actuelles sur la pénibilité au travail et sur les souffrances sociales dues à l’organisation contemporaine de la production.
 
Cette journée d’études entend esquisser les grands traits de ce questionnement sur le « corps impropre » à la croisée de la phénoménologie et de la philosophie sociale, dans une perspective tant théorique que pratique. L’objectif est, d’une part, de retracer la généalogie des théories du corps propre, depuis l’idéalisme allemand (Fichte, Schelling, Hegel) et Maine de Biran, jusqu’aux divers développements phénoménologiques contemporains, en se demandant quel avenir s’ouvre aujourd’hui à ce concept phénoménologique et dans quelle mesure le corps vécu peut ou non être repensé comme « corps impropre ». D’autre part, l’enjeu est de réfléchir aux dimensions éthiques et politiques de la réévaluation des expériences du corps impropre dans une perspective contemporaine. Nous voudrions ainsi discuter les concepts capables de rendre raison de l’expérience du corps impropre (l’aliénation, l’objectivation, la dépossession…) et réfléchir aux relations morales et aux potentialités politiques que la mise au premier plan des corps impropres nous invite à penser..
 


Programme



9h15- Arrivée des participant.e.s
 
9h30-10h30- J.B VUILLEROD et P. LORELLE : Introduction historique et conceptuelle
 
10h30-11h15- Elodie DJORJEVIC : « La socialisation du corps, aliénation ou appropriation de soi ? Remarques à partir des conceptions hégélienne et bourdieusienne de la pratique ». 
 
PAUSE      
 
11h30-12h15- Camille FROIDEVAUX-METTERIE : « L’expérience vécue du corps enceint, entre aliénation du corps impropre et attestation d’un corps à soi ». 
 
12h15-13h- Mickaëlle PROVOST : « Les paradoxes de l'expérience incarnée chez Beauvoir et Fanon » 
 
PAUSE DEJEUNER
 
14h30-15h15- Natalie DEPRAZ : « Désir et plaisir mêlés : la fin d'une téléologie masculine ? »
 
15h15-16h- Marion BERNARD : « Corps impropre, corps impur, corps étranger » 
 
PAUSE 
 
16h30-17h15- Silvia LIPPI et Patrice MANIGLIER : « Corps-symptôme, corps politique : identités et résistance dans une perspective psychanalytique »
 
17h15-18h- Anne SAUVAGNARGUES : titre à communiquer
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
           
           

Mis à jour le 23 janvier 2023