Colloque "Les nouvelles minorités religieuses dans l'espace public"- 25 et 26 septembre 2007

Les nouvelles minorités religieuses dans l'espace public:
Demandes de reconnaissance
et réponses institutionnelles dans les pays occidentaux


Argument

Les débats liés au vote de la Loi française de 2004 interdisant le port de tout signe religieux ostensible dans les écoles ont posé la question de la visibilité des nouvelles religions minoritaires dans les espaces publics des pays d'Europe de l'Ouest. C'est en effet dans ces pays, dans lesquels vivent d'importantes populations originaires de pays de confession musulmane, sikh, hindouiste, bouddhiste, etc., que se pose cette question désormais récurrente depuis plusieurs années : les religions minoritaires doivent-elles être confinées dans la sphère privée ou ont-elles un droit imprescriptible à s'afficher dans le domaine public ?

Fortement médiatisés dans la plupart des pays du globe, ces débats ont amené les politiques, les religieux et, d'une façon générale, les citoyens à conceptualiser, sous un jour nouveau, la question des rapports entre minorités religieuses et espace public, sphère privée et sphère publique. Deux modèles se sont ainsi dégagés et s'opposent de manière bipolaire : le multiculturalisme anglo-saxon et la laïcité « à la française », à partir desquels on tente bien souvent, à tort ou à raison, de décrypter la situation dans les autres pays. Comment concilier, pour reprendre la formule d'Alain Touraine (1997), droit des individus et droit des communautés ? Deux ans après le vote de la Loi de 2004 en France la question est plus que jamais d'actualité en Europe.

Ces débats renvoient également, et logiquement, à la question de l'intégration des populations d'origine étrangère. Apportant avec elles des coutumes et des mœurs différentes, elles ont dû composer avec les normes et les lois des pays d'accueil. Si les premières générations ont bien souvent fait « profil bas » quant à la pratique de leur religion (F. Khosrokhavar, 1997), certains de leurs descendants, désormais citoyens des pays occidentaux en question, n'hésitent pas désormais à s'investir dans les débats publics autour de ces questions. Autrefois presque inexistantes, les revendications religieuses des acteurs issus de l'immigration se sont greffées, depuis plusieurs années, sur les demandes de reconnaissance identitaires (D. Schnapper, 1993). C'est ainsi que l'on a vu émerger des acteurs politiques d'un genre nouveau. Souvent issus des minorités en question, ils réclament la possibilité de pouvoir vivre leur religion « en toute liberté » au nom de l'égalité des droits. Outre le port des signes religieux, on peut évoquer la question des repas adaptés dans les cantines scolaires, de jours fériés spécifiques, de la construction de lieux de culte ainsi que de l'aménagement d'espaces de prières sur les lieux de travail ou d'études, de processions dans l'espace public, voire de l'application de règles juridiques distinctes, comme il en a été débattu en Ontario avec une application de la Charia adaptée au droit canadien. Ils reçoivent parfois, dans cette lutte, l'appui d'associations anti-racistes ou de défense des droits de l'homme qui interprètent ce « déni d'égalité religieuse » comme une nouvelle forme de racisme stigmatisant leur religion. Il s'ensuit des recours en justice, des manifestations, des pétitions, des prises de position dans les médias, etc.

Ce colloque a pour objectif de questionner et d'analyser ces formes de mobilisation politique et publique en vue de la visibilité et la reconnaissance religieuses, ainsi que les relais que ces revendications reçoivent dans la société civile et les réponses apportées par les instances publiques.


Une première partie du colloque fera le point des recherches empiriques menées sur ce thème. Quels argumentaires utilisent ces groupes en quête de reconnaissance ? Comment perçoivent-ils les principes juridiques et politiques des différents pays dans lesquels ils évoluent ? Comment se situent-ils vis-à-vis de leurs appartenances religieuses, sociales, nationales, « ethniques » ? Comment sont-ils perçus par les « communautés » qu'ils prétendent représenter, etc. ?

Les positions de l'Etat et de la justice face à ces revendications sont également à envisager : comment évoluent-elles entre passivité, tentative d'étouffement, aide à leur aboutissement ou négociation ?

On pourra aussi questionner la position des autres religions vis-à-vis des revendications de ces nouvelles minorités religieuses. Leurs positions diffèrent-elles de celles des institutions séculières ? Perçoivent-elles ces minorités comme une menace pour leur propre position de religion « légitime » dans l'espace public, ou au contraire, comme de nouveaux appuis susceptibles de renforcer leurs propres revendications ? Par ailleurs, les minorités religieuses réclament-elles les mêmes droits que les autres religions ou bien leurs revendications dépassent-elles la demande d'une stricte égalité religieuse ?

Une seconde partie du colloque abordera les enjeux proprement théoriques et politiques. Il faudra tout d'abord interroger les concepts développés par les sciences humaines pour appréhender ces phénomènes, tels que ceux d'ethnicité, de communautarisme, de confessionnalité, de neutralité, de sécularisation, de laïcité, etc. Souvent mêlés à des considérations idéologiques, renvoyant parfois à des prénotions, ou simplement issus de domaines de recherches portant sur des thématiques différentes (par exemple le racisme), il est nécessaire que soit menée à leur propos une réflexion épistémologique rigoureuse sur leur degré de pertinence vis-à-vis de la problématique que soulèvent les demandes de reconnaissance des nouvelles minorités religieuses.

Puis, dans le cadre des nouvelles théories de la reconnaissance, il faudra se demander si toute demande de reconnaissance est intrinsèquement légitime du seul fait qu'elle s'exprime, et qui est légitimement apte à la satisfaire. S'interroger en somme sur ce que les confessionnalités minoritaires font à la reconnaissance. Et réciproquement.

Et s'interroger, enfin, sur le degré de pertinence de l'opposition entre multiculturalisme et républicanisme. Est-il concevable de dialectiser leur opposition ou toute perspective d'une troisième voie en la matière est-elle illusoire ?

                                        Alain Caillé, Sylvain Crépon, et Andrea Rea


 

Organisation

Colloque transdisciplinaire organisé par le laboratoire SOPHIAPOL (Sociologie, Philosophie, Anthropologie politiques) de l'Université Université Paris Nanterre - Nanterre et le centre de recherche transdisciplinaire MAM (Migration, Asile, Multiculturalisme) de l'Université Libre de Bruxelles, avec le soutien du Bureau des relations internationales et de la coopération de l'Université Libre de Bruxelles.

Intervenants

Stefano Allievi, Emmanuelle Bribosia, Sylvain Crépon, Sarah Demart, Antonio Elorza, François Foret, Andrea Rea, Julie Ringelheim, Isabelle Rorive, Dominique Schnapper, Jean-Philippe Schreiber, Corinne Torrekens, Shmuel Trigano, Fiammeta Venner

Programme


Mardi 25 septembre 2007
Les apports de la recherche empirique

9h00, Introduction (Jean-Philippe Schreiber, CIERL-ULB)

Matinée : Les nouvelles demandes de reconnaissance religieuse
Présidence : Jean-Philippe Schreiber (CIERL-ULB)

- Sarah Demart (CIRUS-CERS, Université Toulouse le Mirail / ANSO-POLS Université de Louvain-la-Neuve) : « De la secte au représentant communautaire... Stratégies d'investissement de l'espace public des `'églises congolaises (RDC) du réveil'' dans le contexte migratoire (France, Belgique) »

- Sylvain Crépon (SOPHIAPOL, Université Paris Nanterre / MAM, ULB) : « Etude comparative de groupes impliqués dans des revendications sur le droit du port de signes religieux en Belgique francophone et en France »

- Débat / Pause

- Stefano Allievi (Université de Padoue) : « Reconnaissance à géométrie variable. Minorités religieuses en Italie : l'islam et les autres »

- Antonio Elorza (Faculdad de Ciencias Politicas de la Universidad Complutense de Madrid) : « L'islam en Espagne : le travailleur et le croyant »

- Fiammetta Venner (CADIS - EHESS) : « Comment admettre l'inadmissible : de la stigmatisation de l'intégrisme chrétien à la tolérance des nouveaux mouvements religieux »

- Débat / Pause déjeuner


Après-midi: L'Etat et la justice face aux nouvelles revendications religieuses
Présidence : Stéphane Dufoix (SOPHIAPOL - Université Paris Nanterre / Institut Universitaire de France)

- Emmanuelle Bribosia (MAM - ULB), Julie Ringelheim, (FNRS - Centre de philosophie du droit, Université catholique de Louvain) et Isabelle Rorive  (MAM - ULB) : « Religion et espace public : quels principes communs en Europe ? »

Débat / Pause

- Andrea Rea (MAM / GERME - ULB) : « Aménagement des demandes religieuses dans les entreprises publiques. Etude de cas belges »

- Corinne Torrekens (GERME - ULB) : « Pratiques musulmanes dans l'espace public bruxellois : concertation, régulation et discours sur la neutralité de l'Etat belge entre responsables religieux et élus »

- Débat


Mercredi 26 septembre 2007
Le débat théorique et politique

Matinée  : Pertinence des concepts mobilisés dans les recherches sur les nouvelles revendications religieuses
Président de séance : Andrea Rea (MAM - ULB)

- Shmuel Trigano (SOPHIAPOL, Université Paris Nanterre) : « La référence à la religion est-elle pertinente ? »

- François Forêt (ULB) : « Religion, identité, institution en Europe »

- Dominique Schnapper (EHESS / Conseil constitutionnel) : « Le sens de l'ethnico-religieux dix ans après »

- Débat / Pause déjeuner

Après-midi : Table ronde
Modérateur : Alain Caillé (SOPHIAPOL - Université Paris Nanterre)

Andrea Rea, Shmuel Trigano, Stefano Allievi, Dominique Schnapper, Antonio Elorza, Fiammetta Venner, Jean-Philippe Schreiber, François Foret...

Cocktail 18h30

Lieu

Maison de l'Europe (salle François Poncet)
35 rue des Francs-Bourgeois
75004 Paris
Métro : Saint-Paul

Contacts


A Université Paris Nanterre: Alain Caillé et Sylvain Crépon

A l'ULB: Andrea Réa et Corinne Torrekens

Mis à jour le 11 septembre 2012