Colloque international "George Herbert Mead et la question de la socialisation", 28 et 29 avril 2011

 

La pensée de George Herbert Mead, malgré l'influence considérable qu'elle a pu avoir sur les travaux de la tradition sociologique de Chicago aux Etats-Unis ou ceux du renouvellement de la théorie critique en Allemagne, en particulier ceux de Jürgen Habermas et d'Axel Honneth, demeure encore peu connue en France. Ce retard a commencé à être comblé par la réédition en 2006, par Daniel Céfaï et Louis Quéré, de la traduction de son ouvrage le plus célèbre, L'esprit, le soi et la société.

Ce colloque se propose d'interroger la manière dont cette pensée thématise la question de la socialisation. Par socialisation, on entend ce processus qui « lie un organisme aux autres dans les interactions en cours » (L'esprit, le soi, la société, p. 243). L'explication de ce processus doit pouvoir rendre compte, notamment, de la manière dont ce dernier est « réellement assumé dans l'expérience de l'individu » (ibid) et dont l'individu s'ajuste par là à son environnement social.

Les interventions du colloque aborderont cette question, non seulement à partir d'une lecture interne de la pensée de Mead, mais également en confrontant cette dernière à d'autres auteurs, pour cerner les filiations de Mead, ses réinvestissements ultérieurs, et également ses réactualisations contemporaines.

Pour introduire aux interventions et discussions du colloque, on peut distinguer trois pistes de réflexion que la notion de socialisation, telle qu'elle est traitée chez Mead, semble susciter : on questionnera les principes de la socialisation, les formes que prend cette socialisation en tant que processus, et les limites de ce processus.

1.     Les principes de la socialisation.

Si l'on trouve chez un Mead un fort intérêt pour cette question, c'est qu'elle se trouve au cœur de son entreprise d'élaboration du « béhaviorisme social ». Il s'agit bien pour Mead de produire une psychologie qui puisse, en partant d'une activité observable, rendre compte de l'expérience d'un individu et du développement d'un soi et d'une conscience de soi dans cette expérience, en rapportant cette expérience au processus social, au sein de laquelle elle  émergerait. Cette psychologie sociale doit ainsi pouvoir rendre compte de la manière dont le processus social est assumé par l'individu dans son expérience. Mead place au cœur de cette explication le processus de  communication qui dépend lui-même d'une structure physiologique particulière. C'est bien par l'échange de gestes vocaux que naît la communication, grâce à laquelle l'individu en vient à adopter l'attitude d'autrui et à agir envers lui-même comme les autres le font (ibid, p. 289).

2.     Les formes du processus de socialisation.

Une interrogation sur les principes de la socialisation ne doit pas faire perdre de vue le fait que la socialisation est de toute part processus, qu'elle se produit au sein des interactions avec l'environnement social. A cet égard, il ne faudrait néanmoins pas penser ce processus, par lequel s'exerce un contrôle sur les actions de l'individu, comme dynamique homogène ou produisant des effets d'homogénéisation. Mead invite ainsi à s'interroger sur l'hétérogénéité et la diversité de ce processus. Il insiste en effet tout d'abord sur le fait que lorsque nous en venons à adopter l'attitude de l'Autrui généralisé, c'est-à-dire les attitudes sociales de notre groupe social ou de notre communauté sociale dans son ensemble, nous ne nous référons pas à une attitude homogène, mais à un ensemble d'attitudes, organisées mais différentes. (ibid, p.311). Par ailleurs, Mead considère que cette communauté à laquelle l'individu appartient se constitue de sous-groupes d'appartenance ou de classes sociales, qui obéissent eux-mêmes à des logiques de socialisation différentes, ce qui amène l'individu à adopter différents rôles en fonction du sous-groupe dans lequel il est amené à évoluer. La question de la compatibilité de ces différents rôles peut se poser. Enfin, Mead insiste sur la dimension créative de la socialisation, qui ne saurait être un processus subi passivement par l'individu, et qui de ce fait ne peut pas non plus être homogénéisant. C'est dans cette perspective que Mead propose de distinguer, de manière analytique, deux phases constitutives du soi : le « moi », qui correspond à l'ensemble des attitudes de la communauté incorporées par l'individu et le « je », compris comme la réponse individuelle à ces attitudes de la communauté, mais non déterminée par elles. Par là, Mead montre que le soi, dont l'émergence dépend certes de ce processus de socialisation, parvient néanmoins à s'individualiser. Ce dernier point nous conduit au dernier axe de réflexion.

3.     Les limites de la socialisation.

La pensée de Mead invite en effet à se demander quelles sont les limites de ce processus de socialisation. Tout d'abord, Mead invite donc à penser, grâce à cette distinction entre le moi et le je, ce qui, au sein du soi, semble résister à ce processus. Par ailleurs, il invite également à interroger ce qui peut faire l'objet de la socialisation. Si Mead insiste sur le caractère fondamentalement social du « soi », il souligne également la dimension sociale des choses physiques, montrant que les objets sont « constitués dans un champ de significations, à l'intérieur du processus social d'expérience et de comportement », et qu'en ce sens il est possible de dire que « nous parlons à la nature » (p.247). C'est alors le sens même de « la réalité sociale », et le tracé de ses limites, qui posent question. Enfin, on pourra questionner la place et le rôle du conflit dans le processus de socialisation. L'insistance de Mead sur les dimensions de coopération et de contrôle social à l'œuvre dans le processus de socialisation ne semble pas exclure, en effet, la possibilité de penser les logiques sociales de la conflictualité. On se demandera alors si elles ne sont que l'envers ou la limite de ce processus, ou si elles peuvent constituer le moteur de la socialisation.

 

Les deux journées de ce colloque s'organiseront en quatre demi-journées, qui aborderont chacune une dimension thématique importante de cette question de la socialisation chez Mead, et des critiques et prolongements contemporains. La première demi-journée sera consacrée à la théorie meadienne du soi (self) social, en questionnant ses sources historiques (James, Dewey, mais aussi Smith et Hume), ses éventuelles zones d'ombre, mais aussi sa portée théorique (notamment chez Goffman). La deuxième demi-journée sera consacrée à la question de la réalité sociale, en questionnant le problème de la socialisation de la perception et de la perception du social, ainsi que de la réception critique de la théorie meadienne de la socialisation dans la phénoménologie du monde social d'Alfred Schütz et dans l'ethnométhodologie. La troisième demi-journée examinera les sources hégéliennes du pragmatisme de Mead, et son usage possible dans le contexte des théories contemporaines de la reconnaissance. La quatrième demi-journée sera consacrée à la question de la coopération et du contrôle social, qui sera abordée à partir de perspectives contemporaines : de la sociologie de la mobilisation mais aussi de la philosophie sociale, et notamment de la possibilité, apparemment paradoxale, de penser, avec Mead, les dimensions de violence, de domination et de conflictualité dans les rapports sociaux.

Colloque international organisé par le laboratoire Sophiapol. Ce colloque est ouvert à tous et ne nécessite pas d'inscription préalable.

Dates:
Jeudi 28 et vendredi 29 avril 2011


Lieu :

Université Université Paris Nanterre
Bâtiment S Amphithéâtre S2 (en rez-de-chaussée)

Comment venir ? par le train et le RER

Plan du campus et trajet vers le bâtiment


Organisation et contacts :

Alexis Cukier
Eva Debray

 

PROGRAMME



Jeudi 28 avril

 

 

Matinée : « Aux sources du soi social »
Président de séance : Christian Lazzeri (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)


09h00 : accueil du public

09h30-09h45 : Eva Debray et Alexis Cukier (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)
Introduction au colloque

09h45-11h00 : Hans Joas (Albert-Ludwig-Universität Freiburg, FRIAS)
De l'âme au soi

11h00 : pause

11h15-12h30 : Céline Bonicco-Donato (ENSAG, Cresson)
Le self dans la psychologie sociale de George Herbert Mead. Filiation et descendance


Après-midi : « L'appréhension de la réalité sociale »
Présidente de séance : Alice Le Goff (Univ. Paris V, GEPECS)


14h30-15h45 : Olivier Gaudin (Univ. de Poitiers, CRHIA)
Éléments pour une approche pragmatiste des cadres de l'expérience urbaine : la psychologie sociale de la perception dans
L'esprit, le soi et la société

15h45-17h00 : Laurent Perreau (Univ. de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS)
Pragmatisme et phénoménologie : la réception de la psychologie sociale de G.H. Mead par A. Schütz

17h00 : pause

17h15-18h30 : Louis Quéré (EHESS, CEMS)
Le processus social comme lieu du self et de l'esprit. De Mead à l'éthnométhodologie


Vendredi 29 avril

Matinée : « Pragmatisme, hégélianisme et reconnaissance »
Président de séance : Julien Bernard (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)


09h30 : accueil du public

10h00-11h15 : Emmanuel Renault (ENS Lyon, UMR 5037, CERPHI)
Dewey et Mead hégéliens

11h15 : pause

11h30-12h45 : Estelle Ferrarese (Univ. de Strasbourg, LCSE)
Le Mead de Habermas. Une autre théorie de la reconnaissance

 

Après-midi : « Contrôle social et coopération »
Présidente de séance : Emilie Hache (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)

14h30-15h45 : Cécile Lavergne (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)
Violence en situation dans le pragmatisme de Mead : coopération, normativité et contrôle social

15h45-17h00 : Alexis Cukier (Univ. Université Paris Nanterre, Sophiapol)
Intersubjectivité pratique et participation à l'acte social : l' « autrui généralisé » et le « contrôle social » de Mead au prisme de la philosophie sociale

17h00 : pause

17h15-18h30 : Daniel Cefai (EHESS, CEMS)
Public, socialisation et politisation : une interrogation à partir de Mead et Dewey

 

Présentation des interventions

La présentation des interventions est en ligne sur Le carnet du Sophiapol.

Documents à télécharger

L'affiche




Crédits photographiques: R. Doisneau, Les tabliers de la rue de Rivoli, Paris (avec l'aimable autorisation de l'Atelier Robert Doisneau)

Mis à jour le 04 janvier 2013