Axe 1 : Pratiques et politiques des corps

Présentation


L’idée selon laquelle le corps humain n’est pas seulement un produit naturel donné, mais toujours aussi une construction sociale (disciplines, dispositions, modelages, marquages, transformations) constitue assurément l’un des thèmes essentiels de la pensée sociologique, depuis au moins Marcel Mauss. Elle a été approfondie au siècle dernier grâce aux impulsions novatrices issues des travaux d’auteurs tels que Norbert Elias, Pierre Bourdieu ou Michel Foucault.

Notre interrogation portera sur les spécificités que présente cette socialisation des corps à l’époque contemporaine : comment s’exerce aujourd’hui le pouvoir sur les corps, condition d’un pouvoir sur les gens ? Qu’y a-t-il de neuf, historiquement, dans cet exercice ? Quelles en sont les diverses modalités, apparemment de plus en plus nombreuses et parfois fuyantes ? Plus précisément, nous souhaitons montrer comment, à l’époque contemporaine, une dialectique complexe, polymorphe, subtile, toujours indécise, s’est mise en place entre perfectionnement du contrôle (ou réinvention des contraintes) et affirmation de la liberté individuelle et collective.

Pour ce faire, nous privilégierons des expériences liées à certaines exclusions sociales (la maladie, l’hospitalisation, l’incarcération), ainsi qu’aux pratiques sexuelles, au carrefour de l’intime et de la norme publique. Sur cette base, la diversité des usages du corps et des rapports au corps prendra plus de relief.

Quatre sous-axes mettent en œuvre cette problématique :
 

Mots clés : pratiques corporelles, émotions, animalité, violence, corps social, vulnérabilité...



Axe 1, sous-axe 1 : Santé, maladie et prises en charge


La question de la pluralité des rapports à la maladie et des normes de santé entre les différents acteurs (patients, proches, professionnels, institutions, associations, etc.) est interrogée, tout particulièrement le modèle dominant médico-épidémiologique occidental et ses conséquences (responsabilisation individuelle en matière de santé, mise à distance de la mort). En lien avec l’enjeu de société majeur que constitue l’augmentation des maladies dites chroniques, l’émergence de cette notion et ses implications sociologiques et épistémologique, les équipes poursuivront les recherches dans les domaines du VIH-sida (gestion de la chronicité de la maladie, «durable », exposition suite à des prestations sexuelles rémunérées sur Internet), tout en développant des études interdisciplinaires et collectives sur le cancer (points de vue des patients sur leurs prises en charge médicale, « travail » stratégies et choix opérés par les soignés, difficultés du retour en emploi des personnes touchées par la maladie).

 

Axe 1, sous-axe 2 : Normes, représentations et pratiques sexuelles


Depuis le contrôle de la virginité des jeunes filles au Maghreb jusqu’à la répression de la criminalité pédophile, en passant par différentes formes de prostitution (féminine et masculine), par les pratiques de pluripartenariat – elles aussi féminines (en milieu héterosexuel) et masculines (en milieu homosexuel) – et par les deux cas spécifique de la sexualité des femmes incarcérées et de celle des personnes désignées comme « handicapées mentales», les chercheurs du laboratoire ont déjà commencé à explorer les différentes constructions sociales des normes sexuelles propres à la société contemporaine. Ce travail s’est effectué à partir de certaines des marges de cette société, mais aussi en tentant d’identifier des tendances plus globales, observables dans plusieurs groupes, voire dans une majorité de la population. À la différence de ce qu’on trouve souvent dans les recherches concernant la sexualité, le paramètre «genre» n’apparaît pas ici systématiquement prédominant. À côté des phénomènes relevant évidemment de cette domination masculine, ont été pris en compte des formes de rapports de pouvoir plus incertains et moins unidirectionnels, mais aussi des aménagements d’espaces de liberté et des façons d’investir les interstices de la vie sociale. La sexualité étant tour à tour ou à la fois centrale, périphérique, prétextuelle et intersticielle, aucun concept ne suffit seul à l’épuiser. La multiplication des perspectives offre les conditions partielles de sa compréhension. Nous souhaitons prolonger ce travail dans les prochaines années.

Axe 1, sous-axe 3 : Contrôle de soi et contrôle des autres : les usages sociaux des corps

Le travail portera sur les mécanismes et les usages des normativités sociales. Deux entrées seront privilégiées : le contrôle de soi (intériorisation des normes, empowerment, secret…) et le contrôle des autres (prévention des conduites à risque, management, sanctions formelles, stigmatisations…) Une attention particulière sera portée à la dynamique émotionnelle de ces processus sociaux. Travail émotionnel, contrôle par la peur ou la honte, processus de sensibilisation, traduisent en effet des choix et des politiques qui s’actualisent dans des pratiques qui visent et transforment les corps. Les pratiques et les politiques liées à la mort, à la santé, aux risques sociaux, à la sexualité, à la prison compteront parmi les objets étudiés dans des perspectives qui seront à la fois sociologiques, anthropologiques, historiques, et philosophiques, par les membres du laboratoire.

Axe 1, sous-axe 4 : Corps masqués et corps exhibés : des cultures à la culture


L’image du corps que construisent les pratiques sociales connaît à l’époque contemporaine des transformations notables. Plusieurs mouvements peuvent être observés : un souci de soi individualisant qui fait, pour chacun, de la transformation et de l’entretien de son propre corps un objet de préoccupation intense, l’émergence de nouveaux canaux de diffusion de normes sanitaires, esthétiques ou éthiques (les médias, les médecins, les porte-parole des différents groupes sociaux…). Nous souhaitons approcher cette situation selon deux voies : en en interrogeant les tenants et les aboutissants quant à la compréhension de ce qu’est un sujet en général, en investissant certains terrains empiriques qui nous paraissent privilégiés : la culture de masse, la sexualité, le sport.
 

Mis à jour le 01 février 2019