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Les rapports sociaux comme objet d'enquête. Entre théorie et empirie

Publié le 3 mai 2019 Mis à jour le 13 mai 2019

Colloque organisé par Camilla Brenni et Zacharias Zoubir

Date(s)

du 14 mai 2019 au 15 mai 2019

09h-17h30
Lieu(x)

Bâtiment Max Weber (W)

Salle des conférences
Ce colloque se veut un espace de réflexion sur les relations entre théorie et empirie dans les
enquêtes sur les rapports sociaux de domination, d’exploitation et de dépossession. Il part
d’un double constat. D’une part, des courants philosophiques contemporains théorisent les
rapports sociaux en se fondant, en tout ou partie, sur les matériaux des sciences sociales.
D’autre part, certains courants des sciences sociales, critiques à l’égard de la trop grande
spécialisation ou sectorialisation de leurs disciplines, tentent de renouer avec des théorisations
plus générales de leurs objets ou de dialoguer avec les textes fondateurs de ces sciences. Pour
les uns comme pour les autres, ce sont les rapports sociaux en eux-mêmes qui échappent aux
classifications et aux clivages disciplinaires ou intra-disciplinaires, et qui peuvent par
conséquent permettre une discussion entre chercheuses et chercheurs malgré leurs différends
théoriques et méthodologiques. Des objets aussi divers que les rapports sociaux de genre et de
race, d’exploitation ou de domination dans le monde du travail ainsi que les rapports de
dépossession de la nature sont ainsi à l’origine d’enquêtes empiriques qui préservent des liens
avec les apports théoriques et critiques des différentes traditions des sciences humaines et
sociales.

Nombre de théoriciens du XXème siècle, à la suite de travaux tels que ceux de Marx, Weber,
Simmel, Durkheim ou Du Bois, ont prolongé le travail conceptuel de la philosophie dans les
« théories critiques » au sens large. Plus récemment, le travail d’archive de Foucault fut le
résultat d’une rencontre entre philosophie et histoire qui transforma qualitativement la
manière de forger des concepts pour restituer des expériences sociales. La sociologie critique
de Bourdieu, quant à elle, a mis en place un nouveau type d’enquête sur la domination tout en
revendiquant une forme d’autonomie de la sociologie vis-à-vis de la philosophie, tandis que
des travaux comme ceux de Luc Boltanski et d’Ève Chiapello ont permis de renouer avec une
conceptualité sociologique élargie et d’engager des débats théoriques sur le statut de la
critique ou de la domination. Sur un autre terrain encore, les foisonnantes recherches de
féministes matérialistes ou marxiennes en sociologie comme en anthropologie – notamment
celles de Christine Delphy, de Paola Tabet et de Colette Guillaumin – partirent d’expériences
sociales et de travaux empiriques pour remettre en cause des concepts et des cadres d’analyse
inaptes à interroger les dominations et violences genrées. Les questions conjointement
politiques et épistémologiques ainsi soulevées ont contribué, petit à petit, à la formation de
nouveaux domaines comme celui des « études de genre ».

Dans un autre contexte, la Théorie Critique allemande a été pionnière dans la mise en place de
programmes de recherche interdisciplinaires. Entre psychanalyse, sociologie et économie
politique, les théoriciens de Francfort ont mené des enquêtes de terrain – sur les conditions de
travail des ouvriers, sur le fascisme, sur l’antisémitisme – en dialogue avec des réflexions
théoriques sur l’idéalisme allemand, le marxisme ou la sociologie classique. Aujourd’hui
encore, certains représentants de la philosophie sociale prolongent l’esprit de la Théorie
Critique. Ils associent des développements philosophiques sur les notions de « travail », de
« social », de « lutte » ou de « reconnaissance » avec des productions empiriques et théoriques
d’autres domaines. Sur un autre plan, suite aux enquêtes sociologiques de W.E.B. Du Bois sur
les situations des Afro-américains et à la pensée anticoloniale de Fanon, les études du racisme
tendent, au moins depuis les années 1980, à se constituer en recherches « post-disciplinaires »
au sens où le racisme y est conçu comme un complexe de phénomènes si divers qu’il ne peut
que faire appel à des sources et méthodes elles aussi diverses. La prise en compte de la
nécessité d’un tel travail décloisonné, prescrit par les objets et phénomènes sociaux étudiés
eux-mêmes, est aussi ce qui anima les premières Cultural Studies de l’École de Birmingham,
qui mirent à l’honneur une quantité de phénomènes sociaux encore marginalisés par les
disciplines et centres de recherche institutionnalisés. Enfin, actuellement, la question
écologique, objet social d’enquête encore récent, vient reposer l’épineux problème de la
séparation épistémologique des sciences sociales et des sciences naturelles et bouscule ces
disciplines de l’intérieur. Certains chercheurs en sciences sociales ont par exemple pu
s’approprier le concept d’« anthropocène » hérité des sciences géologiques. Une telle
traduction requiert notamment la médiation de recherches empiriques explorant l’histoire de
la crise écologique pour mettre en lumière des logiques de pouvoir spécifiques et
différenciées.

Ces divers courants empirico-théoriques qui ont mis en question les frontières disciplinaires et
les paradigmes de connaissance traditionnels n’ont pas hésité à « se salir les mains » dans la
production de savoir. Se pose ainsi la question de savoir comment l’on combine les cadres
théoriques avec les travaux de terrain. Comment faire dialoguer la théorie et les matériaux
empiriques recueillis, les exposer et en restituer la signification ? Entre point de vue situé,
microsociologique, et point de vue global voire totalisant, le spectre des outils à la fois
théoriques et empiriques est vaste et les combinaisons multiples. Toutefois, la prise en compte
de rapports de domination, d’exploitation ou de dépossession rapproche certaines entreprises
scientifiques dans leur prétention à une forme de critique. La réflexion sera donc articulée
suivant trois axes principaux.

Premièrement, peut-on concevoir des relations de complémentarité entre enquête empirique et
travail théorique sur les rapports sociaux ? Si c’est le cas, sur quoi repose cette
complémentarité : sur le caractère multidimensionnel des rapport sociaux en eux-mêmes,
imposant une forme de partage des tâches, ou sur les concepts que philosophie, sociologie,
économie, science politique, etc., auraient en commun ?
Deuxièmement, la pratique de l’enquête empirique, volontairement limitée dans son étendue,
est-elle compatible avec la conception holiste ou non-sectorielle de la société comme un
ensemble de rapports sociaux ? Ces études empiriques correspondent-elles au niveau
micrologique de rapports sociaux sur lesquels la théorie plus générale offrirait une vue
macrologique ? Ou l’enquête empirique renvoie-t-elle à une conception des rapports sociaux
toute différente de celle présupposée par la théorisation générale et/ou systématique ?
Troisièmement, eu égard à la diversité des références, des méthodes et des contenus, comment
comprendre la référence souvent partagée à la « critique » (« théorie critique », « sociologie
[de la] critique » mais aussi « critique sociale », « attitude critique » et « analyse critique ») ?
Cette critique se situe-t-elle à même l’objet, en tant qu’activité des agents, ou est-elle au
contraire le fruit d’une forme particulière d’objectivation entreprise par le chercheur ? Faire
usage de concepts comme ceux de domination, d’exploitation ou de dépossession, est-ce
renouer avec des pratiques de contestation sociale et politique, ou est-ce forger des outils
analytiques indépendants de ces pratiques ?
C’est pour expliciter et interroger ces liens entre enquête empirique d’une part, et théorie et
critique d’autre part, que les deux journées du colloque seront organisées autour d’ateliers
thématiques relatifs aux différents rapports sociaux étudiés.



Programme



14 mai 2019



09h00–09h30. Accueil des participants


09h30-09h45 Introduction, Camilla Brenni et Zacharias Zoubir


09h45–11h. Table ronde 1. Domination et rapports de savoir – entre théorie et empirie

- Béatrice Hibou (CNRS) : « De la théorisation conceptuelle à la mise au travail du concept : l’exemple d’une lecture wébérienne de la domination »

- Christiane Vollaire (CNAM, EHESS-Inalco) : « Une politique de l’entretien : repositionner la question subalterne »

Présidence : Camilla Brenni (Université de Strasbourg, CREPHAC)


Pause café


11h15-12h30. Atelier 1, partie 1. Race et racisme : les concepts et les objets

- Abdellali Hajjat (Université Paris Nanterre, Institut des sciences sociales du politique) : « L’implicite et l’explicite de la question raciale »

- Nicolas Martin-Breteau (Université de Lille, CECILLE) : « Comment comprendre la race pour combattre le racisme ? »

Présidence : Zacharias Zoubir (Université Paris Nanterre, Sophiapol)


12h30–13h45. Pause déjeuner


13h45–15h00. Atelier 1, partie 2. Enjeux et statut de la théorie dans les enquêtes sur le racisme

- Kolja Lindner (Université Paris 8, Les mondes allemands) : « La laïcité française entre libéralisme ambigu, identité nationale et racisme anti-musulman »

- Nasima Moujoud (Université Grenoble Alpes, LARHRA) : « L’anti-relativisme culturel ou le déni du racisme et du terrain postcolonial et transnational »

Présidence : Adrien Soumarey (Université Paris Nanterre, Sophiapol)


Pause café


15h15 –17h30. Atelier 2. Conceptualiser l’exploitation de la nature et la dépossession écologique

- Franck Fischbach (Université de Strasbourg, CREPHAC) : « Vers un programme d’écologie sociale en philosophie sociale : le concept de rapport social à la nature »

- Timothée Haug (Université de Strasbourg, CREPHAC) : « L’élaboration du concept marxien de force naturelle à la croisée de l’exploitation du travail et de la domination de la nature »

- Armel Campagne (Institut européen universitaire) : « Tensions entre théorie et empirie dans l’analyse éco-marxiste des rapports capitalistes. Le cas d’Andreas Malm, de Jason Moore et de Daniel Cunha »

Présidence : Paul Guillibert (Université Paris Nanterre, Sophiapol)


15 mai 2019



9h00–10h30. Table ronde 2. Théorie, enquête et critique

- Christophe Dejours (CNAM, PCPP) : « Du terrain d’enquête à la théorie, entre demande et recherche scientifique »

- Emmanuel Renault (Université Paris Nanterre, Sophiapol) : « Critique sociale, connaissance empirique et théorisation philosophique »

Présidence : Simon Ridley (Sophiapol)


Pause café


10h45–12h30. Atelier 3. Quelle place pour quelle théorie critique dans les enquêtes sur les rapports sociaux de genre ?

- Dominique Fougeyrollas-Schwebel (Université Paris-Dauphine, CNRS) : « Critique féministe des sciences. Des marges à l'institutionnalisation »

- Danièle Kergoat (CNRS-Cresppa-GTM) : « Sociologie, études de genre et ‘‘rapport social’’ : une relation paradoxale »

- Christelle Avril (EHESS, Centre Maurice Halbwachs) : « Pour un usage critique et empirique des grilles d’analyse sur le genre : le cas des femmes de milieux populaires »

Présidence : Jules Falquet (Université Paris Diderot, LCSP)


12h30–13h45. Pause déjeuner


13h45–16h30. Atelier 4. Théoriser et enquêter sur la domination et l’exploitation dans le monde du travail

- Jean-Philippe Deranty (Macquarie University, CAVE) : « Comment une théorie critique du travail doit-elle se référer aux expériences du travail ? »

- Alexis Cukier (Université de Poitiers, Sophiapol) : « La philosophie sociale, la psychologie et la sociologie contemporaines face à l'aliénation du travail »

Pause café

- Danièle Linhart (CNRS, Cresppa-GTM) : « Accélération temporelle et temps de l’analyse »

- Maud Simonet (CNRS, IDHES) : « L’exploitation des bénévoles ? Des questions de l’enquête à l’interpellation des catégories »

Présidence : Enrico Donaggio (Università degli Studi di Torino, IMÉRA)


17h30. Mot de conclusion par Camilla Brenni et Zacharias Zoubir

Mis à jour le 13 mai 2019