Axe 3 : Le présent du capitalisme

Présentation


Le travail collectif mené dans le cadre du laboratoire Sophiapol nous a conduits, ces dernières années, à souligner les enjeux liés à la redéfinition de certaines catégories socio-critiques centrales : domination, aliénation, réification, émancipation, idéologie. Mise en avant dans le dernier quadriennal, la problématique de la reconnaissance, qui a donné lieu à de nombreuses manifestations et publications, a permis de conserver une unité substantielle à ce travail. Mais il existe désormais un besoin d’actualisation et de différenciation de ces recherches. Pour ce faire, et afin de continuer à approfondir le contenu des catégories socio-critiques (celles-là mêmes qui tout à la fois, donnent à voir une large portion de la réalité sociale présente, orientent son interprétation dans certaines directions privilégiées, et suggèrent parfois d’en travailler des aspects moins visibles), il faut consentir résolument à s’installer dans le paysage des analyses qui portent sur la phase actuelle du capitalisme. L’analyse des variantes du capitalisme contemporain, c’est-à-dire aussi la variété de ses visages, de ses dispositifs, de ses traductions concrètes – et bien entendu de ses théorisations – est aujourd’hui au cœur des travaux de l’axe 3.

Ces travaux s’organisent en particulier autour de quatre sous-axes :

Mots clés : émancipation, pouvoir, exploitation, domination, violence, conflit, aliénation, réification...

Axe 3, sous-axe 1 : Histoire des théories du capitalisme, des théories critiques et des marxismes

Le premier sous-axe renvoie à une perspective généalogique centrée sur l’histoire de la théorie sociale : il cherche à revenir sur les conditions de la prise de conscience de ce que le capitalisme représente, et sur l’élaboration de ses critiques.
Une place importante est ici accordée au marxisme, en renouant en particulier avec un certain nombre de traditions "nanterroises" aujourd’hui très centrales dans le débat contemporain. L’intérêt pour la pensée de Marx et l'histoire des marxismes s’est organisée autour de quelques thèmes-clés précis. Dans les années passées, l'idée de système a représenté l'un d'entre eux, tout comme l’approfondissement de la théorie de la reconnaissance dans la version qu’en donne Axel Honneth, dans la réception de laquelle le laboratoire Sophiapol a joué un rôle important. Mais c'est à d'autres aspects de l'héritage de la "Théorie Critique" et des auteurs généralement rattachés à "l'École de Francfort" que nous souhaitons aujourd’hui également recourir. La théorie juridico-politique de la justice démocratique proposée par Habermas constitue évidemment un pôle d'attraction très fort. Plus en amont, le projet adornien et benjaminien d’une théorie de l’interprétation de la totalité sociale conserve aussi son sens plein, puisqu’il permet de renouer avec la problématique marxienne des représentations correspondant au capitalisme – un capitalisme envisagé à la fois comme mode de production et comme forme sociale. Enfin, l’extension de l’idée de « théorie critique » à des paysages philosophiques et politiques nouveaux permet de faire dialoguer utilement des projets de nature différente – en intégrant en particulier un certain nombre de réflexions françaises sur le politique, et en élargissant tout à la fois l’éventail des lectures de Marx, les usages de la pensée marxienne, et la contamination de celle-ci avec d’autres boites à outils conceptuelles (un exemple entre tous : la pensée foucaldienne).


Axe 3, sous-axe 2 : Capitalisme et écologie

Le second sous-axe privilégie la thématique environnementaliste dans la mesure où elle semble offrir des aperçus extrêmement riches, appelés à devenir centraux dans toute théorie critique, sur les contradictions du capitalisme existant. Les crises environnementales contemporaines ont trouvé depuis longtemps des échos dans les recherches sociologiques et philosophiques, même si celles-ci ont longtemps été marquées par un "biais" anthropocentrique comme par un biais "culturaliste" qui leur rendaient, de ce point de vue, la tâche ardue. La crise écologique interroge le concept de nature, central dans la modernité, à partir duquel il devient apparemment possible de reformuler les termes du problème Mais de quoi héritons-nous politiquement, moralement, ontologiquement, à travers le concept finalement peu évident de "nature" ? Et de quelles contre-histoires disposons-nous quand on souhaite se soustraire à un prométhéisme aveugle et désastreux dans ses effets de long terme ? La spécificité des travaux en cours et à venir du laboratoire Sophiapol tient à la volonté d’aborder cet ensemble de questions par le biais de la théorie sociale et politique, par opposition aux approches normatives ("éthiques") qui ont longtemps dominé ce champ de recherche, du moins en philosophie.


Axe 3, sous-axe 3 : Pouvoirs, subjectivités, institutions, normes

Le troisième sous-axe aimerait comprendre comment les rapports de pouvoir dans leur extrême diversité, tout comme la production du droit et des normes, peuvent simultanément nourrir et modifier l’organisation économique, et en être les chambres d’enregistrement les plus évidentes. Comment la rationalité économique façonne-t-elle l’économie politique, et selon quelles scansions historiques ? Et à l’inverse : comment les rapports de pouvoirs disent-ils à leur manière les exigences toujours plus aiguës du capitalisme ? En particulier : quels sujets sont-ils susceptibles d’être construits dans ce cadre – sujets productifs, sujets dociles, sujets e droits, sujets normés, sujets objectivables ? En vertus de quels discours et de quelles pratiques ?
On s’attachera en particulier aux transformations contemporaines des rapports de pouvoir dans le cadre des nouvelles modalités d’organisation de la production, et aux formes et aux pratiques de contre-subjectivation qui émergent dans un certain nombre de mobilisations collectives inédites.

 

Axe 3, sous-axe 4 : Violences et conflits

Le quatrième sous-axe met en avant la thématique du conflit. Son enjeu consiste à montrer comment la tendance à l’illimitation et à l’infinitisation propre au capitalisme, qui prend dans le néocapitalisme des formes particulièrement aiguës, s’articule non seulement à des rapports de force mais à cette expression privilégiée des rapports de force qu’est la violence.
L’hypothèse privilégiée, qui oriente en particulier la recherche, est que les rapports de force entretiennent des relations irréductiblement diverses à la dynamique expansive du capitalisme : tantôt ils la complètent fonctionnellement et entrent en synergie avec elle, tantôt ils la contredisent et en exploitent les vulnérabilités. Sous ces formes diverses, le conflit (entre groupes, entre classes, entre entités politiques) semble former en tout cas le contexte le plus englobant de ces tendances anonymes, impersonnelles, que l’on prête au « système » capitaliste.
L'interrogation sur les violences de masse extrêmes constitue un aspect important de nos recherches présentes et futures. Nous nous situons, de ce point de vue, dans le prolongement de travaux – on pense ici à ceux de J. Sémelin - dont l'intention est de proposer une approche pluridimensionnelle des violences de masse modernes. Malgré les efforts de typologie et de catégorisation, la violence apparaît souvent en effet comme un "concept continuum" qui met au défi de penser de véritables effets de seuil. C’est ce qui justifie selon nous l’importance de mener un questionnement sur les violences de masse contemporaines (génocides, massacres, tortures) qui soit directement arrimé à une analyse d’autres formes de violences, de faibles et de moyennes intensité, et plus largement, aux mécanismes d’expansion et de crise du capitalisme.
 

Mis à jour le 01 février 2019