Journée d'études "Philosophies féministes contemporaines"

Publié le 17 octobre 2024 Mis à jour le 8 novembre 2024
Date(s)

le 15 novembre 2024

Lieu(x)

Bâtiment Max Weber (W)

Bâtiment Weber, salle de séminaire 2
Argumentaire général du cycle de journées d’étude intitulé  « Philosophies féministes contemporaines »

Ces journées d’études ont pour principal objectif d’appréhender philosophiquement des autrices dont les travaux sont peu mis en avant et/ou insuffisamment abordés sous l’angle philosophique. Il s’agit de souligner la richesse, la pluralité et l’importance des travaux contemporains de philosophie qui s’inscrivent dans une démarche féministe ou d’études de genre. Comment l’approche féministe renouvelle-t-elle certaines interrogations philosophiques et, inversement, comment la démarche proprement philosophique de ces autrices permet-elle d’interroger de manière singulière les différents objets des études de genre? Au-delà de la théorisation du genre, comment ces philosophes pensent-elles, en féministes, les objets traditionnels de la philosophie ? Quelle est, en somme, la spécificité de l’approche philosophique de ces autrices qui philosophent en féministes ?
Ces journées d’études ont pour vocation de créer un espace d’échange entre chercheur·euse·s dont le travail de recherche concilie réflexion philosophique et enjeux féministes.

Argumentaire de la journée d'étude Iris Marion Young

Cette journée d'étude cherche à contribuer à la diffusion de la philosophie d'Iris Marion Young, figure centrale de la philosophie politique féministe états-unienne et des pensées contemporaines de la démocratie, dans le paysage philosophique français. Sa pensée, centrée autour des concepts de justice, de différence, d'oppression et de domination, d'inclusion, de solidarité, et de responsabilité, est d'une remarquable richesse. Difficilement classable, la philosophe emprunte ses références à la phénoménologie continentale, aux théories libérales de la justice et aux pensées de la délibération, à la théorie critique francfortoise, en passant par le marxisme, le postmodernisme ou encore la psychanalyse féministe. Contre une approche désincarnée de la question de la justice, elle ancre ses réflexions dans une analyse attentive aux mouvements sociaux-démocrates, anti-validistes, écologistes, noirs, chicanos, portoricains et indigènes parmi d’autres, se réclamant de ce point de vue d’une « théorie non-idéale », cherchant à établir des normes communes pour lutter contre les injustices, en affirmant cependant qu’une telle formulation est toujours circonstanciée, car formulée dans un contexte socio-historique donné. 
 
L'éclectisme de ses références n'empêche cependant pas de dégager certaines lignes directrices de son projet philosophique : celui d’une description et d’une dénonciation de l’oppression (l’empêchement du développement des capacités individuelles) et de la domination (l’entrave à l’exercice desdites capacités), d’une lutte contre l’exclusion et de la défense d’un idéal d’inclusion différenciée, dans le cadre d’une ontologie sociale fondée sur les principes de solidarité et de responsabilité. Méthodologiquement, l’œuvre de Young articule deux versants : une phénoménologie féministe d’une part, cherchant à décrire les expériences de l’oppression des femmes, une théorie politique, d’autre part, qui élargit la perspective de l’oppression de genre à d’autres oppressions et qui cherche à les ressaisir, dans leur ensemble, à un niveau macro-structurel, dans le cadre d’une théorie politique. 

La journée d’étude cherchera à articuler toutes les dimensions de ce projet philosophique. Il s’agira tout autant de questionner la philosophie de Young dans la diversité de ses ancrages, d’interroger certaines tensions et difficultés de son projet, que de réfléchir aux différentes manières de penser avec elle certaines questions philosophiques plus larges. La première session sera consacrée au projet phénoménologique féministe de Young, ressereé autour de la question de l’expérience de la domination des enfants, et questionné à l’aune des épistémologies féministes du point de vue situé et de perspectives sociologiques. La deuxième session cherchera à expliquer et approfondir la critique youngienne de l’exclusion, de l’oppression et de la domination. La troisième session sera consacrée à la manière dont on peut penser, avec Young, la question du commun, c’est-à-dire à la fois la possibilité de l’alliance et/ou de la coalition, et les échelles à partir desquelles l’action commune peut se jouer. Enfin, il s’agira d’interroger l’insertion de Young dans d’autres corpus : Young peut-elle être considérée comme une penseuse du néo-républicanisme ? Quels rapports peuvent être tissés entre sa philosophie et le pragmatisme ? 

Organisation- Romain Vielfaure et Sarah Talini (Université Paris-Nanterre  - Sophiapol)


Programme

9h00-9h30 : Accueil des participant·e·s et Introduction - Romain Vielfaure (Université Paris Nanterre, Sophiapol) et Sarah Talini (Université  Paris Nanterre, Sophiapol)

9h30–11h15 : Première session - Construction et réappropriation des corps opprimés : le féminisme phénoménologique d’Iris Marion Young
Modération : Louise Lurcin (Univ. Paris Nanterre - CREA)
 
  • Yafan Zhu (ENS de Lyon – Triangle) : « Se réapproprier un corps opprimé : l’approche phénoménologique de Young au prisme des épistémologies féministes »

    Ma présentation s’interroge sur les présupposés méthodologiques et épistémologiques qui fondent l’usage « impur » de la phénoménologie par Iris Marion Young dans son projet théorico-politique féministe. Je commencerai par rappeler le problème de l’essentialisation du sujet femme soulevé dans On Female Body Experience, en montrant que Young et ses commentatrices féministes ont su remplacer un « essentialisme biologique » par un « essentialisme stratégique » visant à faire de la description du female embodiment une réappropriation positive de l’expérience féminine, avec une portée transformatrice. Ensuite, à la lumière de la distinction que la sociologue Beverley Skeggs établit entre disposition et représentation, je remettrai en question l’intérêt d’une telle stratégie de re-signification qui peut reposer sur un accès inégal aux ressources épistémiques et sociales et reconduire certaines formes de « pureté féministe ». Inspirée des relectures féministes de la théorie de l’habitus, j’essaierai enfin d’interpréter la conception youngienne de la « série » sous une perspective épistémologique féministe, ce qui permettra d’envisager une nouvelle ligne d’articulation entre l’expérience subjective de l’oppression et la construction d’une perspective commune du groupe opprimé. L’accent sera mis sur l’aspect productif de l’expérience d’inconfort, de désorientation et de doute, comme une ouverture phénoménologique qui rend possible une interruption critique et une transformation collective des habitudes. 
     
  • Claudia Serban (Université Toulouse – Erraphis) : « L'enfant : embodiment et relations de pouvoir »
    Argumentaire à venir

11h20-13h00 :  Deuxième session –  Critiques youngiennes de l’exclusion, de la domination et de l’oppression
Modération : Romain Vielfaure (Université Paris Nanterre – Sophiapol)
 
  • Sarah Talini (Université Paris Nanterre – Sophiapol) : « L’oppression et la domination pensées sur le modèle du handicap ? - Implications philosophiques et politiques » 

    La communication propose de partir de l’hypothèse que, pour Young, l’oppression et la domination sont comprises comme des handicaps. Coexisterait alors dans le corpus une double définition du handicap : celle, plus restreinte, où le validisme est compris comme une oppression spécifique à un groupe de personnes minorisées ne répondant pas aux critères normatifs d’une subjectivité pleinement capable, l’autre, plus extensive et transversale, s’appliquant à l’ensemble des groupes minoritaires, dont les capacités sont étouffées dans leur développement et dans leur exercice. La conclusion du premier texte de Young, Throwing like a girl, semble faire signe vers une telle définition extensive: « les femmes dans la société sexiste sont physiquement handicapées. Dès lors que nous apprenons à vivre en conformité avec les normes que la culture patriarcale nous assigne, nous sommes physiquement inhibées, confinées, et objectifiées » (je traduis).

    Il s’agira alors d’approfondir cette hypothèse en montrant cependant que les définitions du handicap compris en ce sens large, et plus largement, le traitement de la question du rapport des individus à leurs capacités et incapacités, ne sont pas homogènes dans le corpus youngien. Partir de ces variations aurait alors une valeur heuristique : tout en soulignant certaines lignes de tensions qui traversent ses écrits, une telle focale permettrait de mettre en avant les divers modèles d’émancipation qui sous-tendent les écrits de la philosophe, et l’articulation complexe de ces modèles. 

     
  • Isabelle Aubert (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ISJPS) : « Iris Marion Young, critique de l'exclusion » 

    Dans ses œuvres de théorie politique, Iris Marion Young accorde une importance particulière à la notion d’exclusion. Perçue d’abord sous sa dimension sociale, dans Justice and the Politics of Difference, comme un effet indésirable des sociétés capitalistes contemporaines, l’exclusion est vue, dans Inclusion and Democracy, comme une catégorie politique : la situation des exclus est d’une part considérée comme une limite à la participation politique et un frein à la démocratie, d’autre part comme le point de départ de réflexions politiques alternatives. Cette communication montrera l’originalité de Young dans sa critique de l’exclusion en tant qu’elle appuie une critique sociale et une critique de la démocratie.

     
Déjeuner: 13h05-14h30


Troisième session: 14h30-16h15 – Penser la construction du/des commun(s) avec Iris Marion Young 
Modération : Lucile Marion (Université Paris Nanterre – Sophiapol)
 
  • Félix Mégret (Université Paris Nanterre – Sophiapol) : « La pluralisation des échelles de démocratisation du commun chez Iris Marion Young : cité, société civile et démocratie globale »

    À partir de sa discussion de « l’idéal de la vie dans la cité » en conclusion de Justice and the Politics of Difference, la théorie politique d’Iris Marion Young est généralement lue comme une tentative de conciliation de la valorisation politique de la différence et du rejet d’une conception essentialiste de la communauté. Pour expliquer cette double finalité, ma communication propose de réinscrire les arguments de théorie démocratique élaborés par Young au fil de son corpus dans le contexte du débat nord-américain sur la nécessaire relocalisation de la vie démocratique en réponse aux dangers que poseraient les formes libérales d’atomisme social (débat balisé, d’une part, par les idéaux associationniste ou municipaliste et, d’autre part, par les théories communicationnelles et/ou délibératives de la démocratie). En interprétant ces arguments politiques à l’aune de sa critique sociale de la domination, il s’agira de montrer comment, en élaborant une théorie de l’action démocratique en dialogue avec les théoricien·nes nord-américain·es de la participation, Young construit un concept original de commun démocratique et identifie les différentes échelles de « démocratisation » de la vie commune à partir de la place productive que celles-ci réservent à la différence contre la rigidité d’une démocratie fondée sur la recherche d’unité sociale.
     
  • Marie Garrau (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ISJPS) : « Penser la coalition et l'alliance avec Iris M. Young » 

    Si la réflexion politique de Young s'ancre explicitement dans les luttes féministes et les débats internes au champ féministe, l'une de ses caractéristiques est d'avoir pris appui sur ces luttes et débats pour élaborer une conception de la justice sociale et de la démocratie depuis le point de vue des groupes opprimés dans leur pluralité et non seulement depuis le seul point de vue du groupe des femmes. La politique de la différence vise ainsi à remédier aux différentes figures de l'oppression, sans perdre de vue la spécificité des groupes opprimés, mais sans non plus poser entre eux d'incommensurabilité, et en postulant qu'un accord est possible sur les fins politiques à atteindre. En partant de ce constat, on interrogera la place que les concepts de coalition et d'alliance occupent dans la pensée de Young. Bien que ces concepts ne soient quasiment pas utilisés par l'autrice elle-même, on se demandera s'ils ne permettent pas de ressaisir certains des éléments typiques de son projet politique, et si inversement, la pensée de celle-ci ne peut pas nous aider à en préciser la signification et les conditions de mobilisation. 
16h15-16h45 : Pause

Quatrième session: 16h45-18h30 – Une penseuse « bandita » à l’intersection de multiples traditions philosophiques et politiques
Modération : Félix Mégret (Université Paris Nanterre – Sophiapol)
 
  • Quentin Revol (Université Paris Nanterre – Sophiapol): « Dé-provincialiser l’Amérique : l’idéal cosmopolitique de Jane Addams peut-il nous aider à dépasser l’alternative entre “solidarité différenciée” (Young) et "impératif d'intégration" (Anderson)?»

    L’objectif de notre intervention consistera à revenir sur la controverse entre Iris Marion Young et Elizabeth Anderson à propos de l’idéal de « solidarité différenciée » que défend Young. On s’intéressera à une figure du pragmatisme classique, la philosophe et activiste Jane Addams. Celle-ci défend en effet l’idée selon laquelle la nation américaine devrait voir dans l’immigration, mais aussi dans d’autres groupes minorisés comme les femmes, une opportunité pour se reconstruire, se « déprovincialiser » en laissant de côté l’héritage anglo-saxon viriliste qui l’empêche d’affronter les problèmes qui sont alors les siens. La diversité culturelle devrait ainsi être vue comme une chance pour l’Amérique car la « compréhension » des coutumes des groupes sociaux issus de l’immigration devrait permettre de pallier certains des défauts de la culture politique libérale et individualiste dominante qui fait obstacle à la participation du plus grand nombre à la vie sociale.
    Nous serons ainsi conduits à soutenir qu’Addams permet de repenser l’intégration comme un processus « transactionnel » de fertilisation croisée entre groupes sociaux autour d’objectifs pratiques communs qui pourrait être en mesure d’échapper aux critiques que Young adresse à l’intégration comme idéal politique.
     
  • Sophie Guérard de Latour (ENS de Lyon – Triangle) : « Iris Marion Young, « bandita» de l’idéal civique. Politique de la différence et néo-républicanisme »

    Dans cette communication, je me demanderai dans quelle mesure il est légitime de lire I.M. Young comme une philosophe néo-républicaine. Bien que celle-ci ne revendique pas une telle désignation (dont il faudra clarifier les contours) et bien qu’elle soit rarement identifiée comme telle au sein de la théorie politique contemporaine, les échos de sa « politique de la différence » avec les thèmes du néo-républicanisme sont évidents (rôle clé de l’activité civique, conception relationnelle de la liberté, lien entre la non-domination et la justice, valeur de la public spiritedness). L’influence notable de Hannah Arendt sur la pensée politique de Young le suggère également. Il s’agira d’examiner ces échos et de soutenir que Young, en dépit de la distance qu’elle maintient avec les néo-républicains, offre des pistes précieuses pour aller plus loin qu’eux dans le renouvellement de cette tradition de pensée.
     
18h30: Fin de la journée





 

Mis à jour le 08 novembre 2024