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Journée d'études "Les Robinsonades", 23 mars 2011
L'individualisme semble s'être accompagné de fictions qui ont tendu à l'accréditer. Parmi celles-là, il y a, à n'en pas douter, la fable de Robinson qui participe du mythe du self made man. La possibilité même de penser un homme individuel en-dehors du collectif auquel il appartient pour estimer les conditions de possibilité ou de légitimité de la vie sociale aurait-elle pu prendre consistance sans les robinsonades, c'est-à-dire des mises en intrigues dont un homme solitaire est le personnage principal, capable de subvenir lui-même à ses besoins et ayant des intérêts strictement individuels ? Marx considère que la théorie politique et la théorie économique individualistes (pensée contractualiste et libre-échange économique) sont les héritières des robinsonades :
« Le chasseur et le pêcheur isolés, ces exemplaires uniques d'où partent Smith et Ricardo, font partie des fictions pauvrement imaginées du XVIIIe siècle, de ces robinsonades qui, n'en déplaise à tels historiens de la civilisation, n'expriment nullement une simple réaction contre des excès de raffinement et un retour à ce qu'on se figure bien à tort comme l'état de nature. Le « contrat social » de Rousseau, qui établit des rapports et des liens entre des sujets indépendants par nature, ne repose pas non plus sur un tel naturalisme. Ce n'est que l'apparence, apparence purement esthétique, des grandes et petites robinsonades. »
Karl Marx, Introduction générale à la critique de l'économie politique (1857), in Philosophie, Rubel (éd.), Paris, Gallimard, 1982, p.446
C'est de cet état des lieux de Marx que nous souhaiterions partir. À lire le Robinson de Defoe, on s'aperçoit que le personnage Robinson ne peut se faire qu'en reproduisant des schémas de pensée et de comportement qu'il n'a pas faits, hérités de la société dont il est extrait. Il semble qu'il ait tellement intériorisé les modes de vie anglais qu'il les reproduise comme s'ils étaient « naturels ». La civilisation le travaille sans qu'il s'en aperçoive, une civilisation sans extérieur par rapport à laquelle Vendredi ne peut apparaître que comme sauvage : déficient, et non autre. Autrement dit, au moment même où le personnage de Defoe est censé illustrer la possibilité d'un homme solitaire qui construit son château en autarcie, l'analyse de l'intrigue nous montre l'impossibilité-même de cette autarcie et la dépendance nécessaire au collectif. Un Robinson authentique est-il possible ?
C'est en considérant ce paradoxe que nous aimerions demander si la théorie individualiste n'est pas celle qui a le plus besoin de la fiction et de l'abstraction pour prendre consistance. Étant donné son caractère contrefactuel qui semble faire violence aux tendances sociales de l'homme (si tant est qu'elles existent), la fiction intervient alors pour réchauffer, accréditer et donner consistance à une théorie trop froide et éloignée d'une anthropologie lucide. Aussi, sera-t-il question d'interroger la figure de l'homme solitaire, du self made man, du propriétaire exclusif de lui-même et de ses biens, n'ayant de compte à rendre à personne, à la fois comme structuré par l'intrigue « Robinson » et comme structurant, en sous-main, certaines ontologies sociales et les théories politiques, sociales et économiques qui en résultent.
Comité d'organisation :
Journée d'étude organisée par Raphaël Chappé et Pierre Crétois avec le soutien du CEPERC, du Sophiapol et du département de Philosophie de l'université Aix-Marseille I
Contacts:
raphael [point] chappe [chez] gmail [point] com
pierre [point] cretois [chez] gmail [point] com
Date :
mercredi 23 mars 2011
Lieu:
Université Aix-Marseille I
Centre Schuman, 2ème étage, Salle des Professeurs
29 avenue Robert Schuman,
13621 Aix-en-Provence
PROGRAMME
10h45
Raphaël Chappé (Université Aix-Marseille I, Sophiapol), Pierre Crétois (Université de Poitiers) - Introduction.
11h00-12h30
Blaise Bachofen (Université de Cergy-Pontoise) - « L'usage de la fiction anecdotique dans la constitution du mythe du self made man : analyse de quelques exemples. »
Pierre Dockès (Université Lyon 2, Triangle) - « Les conceptions de l'état de nature et l'économie politique : Hobbes, Smith et quelques autres. »
14h00-15h30
Joelle Zask (Université Aix-Marseille I, CEPERC) - « Robinson ou l'art de se séparer. »
Gilles Campagnolo (CNRS - CEPERC) - « Les Recherches sur la méthode de Carl Menger : l'individualisme méthodologique contre les robinsonades ? »
16h00-17h30
Stéphanie Roza (Université Paris I) - « Robinson en Utopie ? La fonction du décentrement géographique dans l'idéal de la communauté des biens (deuxième moitié du XVIIIe siècle) ».
Frédéric Monferrand (Université Université Paris Nanterre, Sophiapol) - « La figure de Robinson dans Le Capital : ressorts et objet de la critique du fétichisme de la marchandise. »
18h00-18h45
Laurent Gerbier (Université François Rabelais de Tours) - « Sauvagerie et civilisation : James Fenimore Cooper et la fausse naturalité de la wilderness. »
Mis à jour le 25 août 2011