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Réflexivité, points de vue et injustices épistémiques

Publié le 22 janvier 2024 Mis à jour le 3 avril 2024

Séminaire d'équipe du Sophiapol 2024 - Réflexivité, points de vue et injustices épistémiques

Date(s)

du 25 janvier 2024 au 12 juin 2024

de 16h30 à 18h30
Lieu(x)

Bâtiment Henri Lefebvre (D)

Université Paris Nanterre (accessible depuis le RER A ou train ligne L depuis Paris Saint-Lazare).
Entrée bâtiment Lefebvre (D) - salle D.201
L’épistémologie n’est pas seulement une question pour philosophes. Son actualité, dont témoignent débats et polémiques, tient notamment au fait qu’il s’agit d’un enjeu social et politique, dont les implications concernent aussi les méthodes d’enquêtes en sciences sociales. Ce sont précisément les articulations entre la recherche de la vérité – comme question épistémologique –, l’objectivité – comme exigence scientifique –, et la justice épistémique – comme exigence démocratique -, que ce séminaire explorera.

Les épistémologies du point de vue et des savoirs situés, et les épistémologie de l’ignorance (que l’on peut réunir sous le concept d’épistémologies critiques) ont remis en question le postulat d’une objectivité scientifique détachée des rapports de pouvoir façonnant la société. Elles n’invitent pas seulement les philosophes et les sociologues à ne pas se contenter d’appliquer les concepts et les cadres théoriques les plus légitimes dans leurs discipline, sans réfléchir à leur pertinence pour les objets étudiés – en ce sens, elles développent une critique du dogmatisme et du positivisme (au sens péjoratif de l’identification de la connaissance à l’enregistrement des faits) qui est largement partagée. Elles invitent en outre les philosophes et les sociologues à s’interroger sur les effets de leur position sociale sur les savoirs qu’ils et elles reconnaissent comme valides et sur les effets sociaux et politiques des
connaissances qu’ils et elles produisent. L’intuition est alors que toute position sociale implique un point de vue particulier qui peut s’accompagner d’avantages ou de désavantages épistémiques, et que la réflexion sur ces avantages et désavantages peut contribuer à une meilleure connaissance du monde social : une connaissance qui ne reproduise pas les formes d’ignorance sociale prédominantes, une connaissance pouvant prétendre à une objectivité plus forte.

Cette intuition a déjà une longue histoire et peut être formulée de différentes manières. On peut remonter à la manière dont Marx définissait l’idéologie et dont il associait les effets critiques de sa critique de l’économie politique au point de vue d’une classe dominée, le prolétariat. L’ambition d’une construction des savoirs à partir de l’expérience des minorités fut aussi celle des enquêtes sociales menées par Jane Addams et W.E.B. Du Bois. On peut également rattacher ces perspectives au concept d’autoréflexion qui a pour fonction, dans la théorie critique francfortoise, d’inviter les chercheurs en philosophie et en sciences sociales à s’interroger sur leur insertion dans la division sociale du travail, sur les intérêts sociaux que leurs intérêts de connaissance expriment, et sur les effets sociaux qu’ils sont susceptibles de produire. Toujours au vingtième siècle, on peut rapprocher ces perspectives de l’exigence bourdieusienne d’auto-analyse et d’objectivation sur l’objectivation, contemporaine des travaux de Sandra Harding et Donna Haraway sur la Standpoint theory et les Situated knowledges. Plus récemment, un courant important de l’épistémologie sociale a souligné que la réflexion sur les points de vue sociaux conditionnant la production de connaissance et la reconnaissance des savoirs comme savoir légitimes ne mettait pas en question seulement l’objectivité des savoirs, mais aussi la question de la justice épistémique.

Les épistémologies critiques nourrissent-elles une conception relativiste de la science ? La politisation de l’épistémologie peut-elle contribuer à une théorie de la démocratie ? Les minorités (de genre, de classe, de race) détiennent-elles un “privilège épistémique” ? L’éthique peut-elle réguler les rapports de pouvoir qui traversent les procédures scientifiques ? Les exigences de justice sociale doivent-elles étendues aux rapports entre groupes sociaux conçus comme groupes détenteurs, transmetteurs ou producteurs de savoirs ?

L’objectif du séminaire est d’éclairer les enjeux de ces questions et des polémiques auxquelles elles donnent lieu en confrontant une pluralité de modèles épistémologiques critiques. Les différentes possibilités qu’ils ouvrent pour comprendre le monde social enclenchent en outre une réflexion sur leurs capacités transformatives : il s’agit aussi de changer ce monde en transformant, non seulement qui peut le connaître, mais aussi ce qu’on en connaît (et méconnaît), comment on le connaît et ce que l’on fait de la connaissance. L’approche transdisciplinaire des modèles philosophiques et sociologiques en jeu contribuera à réinterroger les différents types d’enquêtes empiriques (enquête ethnographique, enquête quantitative, recherche participative, enquête archivistique, notamment).
 
  • Programme 
Jeudi 25 janvierSéance introductive. Formes et enjeux de la réflexivité. L’exemple d’une enquête quantitative sur le sentiment d’insécurité - Emmanuel Renault (Paris Nanterre - Sophiapol) et Pascal Vallet (Paris Nanterre – Sophiapol),

Mercredi 28 févrierMalaise dans l’enquête ethnographique. Réflexivité et épistémologies radicales à l’épreuve du terrain – Caroline Ibos (Paris 8 – Sophiapol)

Mercredi 13 marsConnaissance spectatoriale et connaissance située du monde social. Quelques remarques sur la séquence Bourdieu – Épistémologie du positionnement – Claude Gautier (ENS Lyon – Triangle)

Mercredi 10 avril: Neutralité et autonomie: Weber, Bourdieu et les savoirs critiques – Éric Fassin (Université Paris 8 – Sophiapol)

Jeudi 30 mai: Enquêter sur l’injustice épistémique en cherchant à l’éviter. L’exemple d’une recherche participative sur la pauvreté – Marie Garrau (Paris 1 Panthéon-Sorbonne – ISJPS), Cécile Lavergne (Université de Lille – STL), Bruno Tardieu (ATD Quart Monde)

Mercredi 12 juinPièges et avantages épistémiques dans les terrains archivistiques et dans les rencontres ethnographiques sur les enfances migrantesSimona Tersini (Paris Nanterre – Sophiapol )

Mis à jour le 03 avril 2024