SOPHIAPOL - Unité de recherche en sociologie, philosophie et anthropologie politiques

Hommage à Philippe Chanial

Philippe Chanial (1967-2024)
 
    Notre collègue et ami Philippe Chanial  (professeur de sociologie à l’université Paris Cité, codirecteur du Laboratoire de changement social et politique et directeur de La revue du Mauss) est décédé il y a peu. Beaucoup de membres du SOPHIAPOL le connaissaient personnellement ou l’avaient sans doute rencontré - toujours amicalement disponible pour répondre à nos invitations - lors de colloques, de séminaires de chercheurs ou de doctorants organisés par l’équipe (l’un d’entre eux devait se tenir en mars 2025...). Outre son amicale présence dans ces différentes manifestations, on se souviendra de la qualité de son écoute, du caractère très construit de ses interventions, toujours servies par une connaissance sans défaut, aussi bien de l’histoire des sciences sociales que des différentes théories contemporaines en débat et de sa capacité à reconnaître ce qu’il y avait de positif dans les approches différentes de la sienne. C’est que Philippe avait assidûment fréquenté le travail théorique de Marcel Mauss, principalement celui qui s’est attelé à comprendre le processus du don comme phénomène social fondamental, phénomène dont Philippe n’a cessé d’explorer les multiples aspects - sur les traces d’Alain Caillé, son ami de longue date  avec qui il entretenait un lien privilégié - dans ses nombreux travaux et dont il n’a cessé d’impulser les recherches à son sujet, en assumant assez récemment la direction de la Revue du MAUSS à laquelle il participait depuis de nombreuses années.

   Critique sans concession de l’utilitarisme, en particulier dans la version économiciste de l’homo œconomicus, à la fois comme cadre théorique d’explication de l’ensemble des pratiques et des structures du monde social et sous son aspect pratique d’expression et de promotion d’un individualisme radical étroitement lié à l’expansion du néolibéralisme, Philippe a défendu dans ses différents travaux une anthropologie fondée sur le don, la réciprocité et l’interaction associative. C’est ce qui l’a aussi conduit à prendre ses distances avec la sociologie de la domination - considérant que l’aspect moniste de ses thèses (le « paradigme de la domination ») risquait de masquer une «étoffe du social», en partie fondée sur la solidarité  et l’attachement - et avec ce qu’il analysait comme un certain nombre de dérives des études de genre et des études postcoloniales : contributions particulièrement positives pour renouveler, au départ, la problématique des sciences sociales, nombre de ses travaux se sont trouvés engagés dans la défense de «politiques d’identité» étroites et segmentées qui ont eu pour effet de redoubler la fragmentation du monde social, à l’opposé des objectifs historiques d’émancipation qui les avaient vu naitre.

  C’est à partir de ces refus théoriques et pratiques que Philippe, dans la lignée de Mauss et du socialisme républicain et associationniste (Proudhon, Malon, Jaurès, Fournières), a entrepris de défendre une sorte de socialisme expérimental du monde quotidien, cherchant à recomposer, indépendamment de toute perspective de transformation révolutionnaire globale du capitalisme (fondée sur la fascination du pouvoir d’Etat), un  monde social fragilisé, via le travail des syndicats, des coopératives, des mutuelles et de l’intervention législative concernant le renforcement de la protection sociale et l’instauration du revenu universel.  Ce projet a trouvé son expression dans les deux manifestes du mouvement convivialiste (2013, 2020) dont la proclamation du second disait que « Le libéralisme laissait espérer le règne de l’autonomie, la fin de la soumission à l’autorité ou au despotisme. Le socialisme promettait l’égalité, au moins une certaine égalité grâce à l’intervention régulatrice de l’État. L’anarchisme surenchérissait sur le libéralisme en y ajoutant l’espoir de l’autosuffisance économique, de l’autogestion ; et le communisme surenchérissait sur le socialisme en ajoutant la fraternité à l’égalité. Le convivialisme hérite de toutes ces promesses et tente de les combiner en les « dépassant » (aufheben) ».

  Indépendamment de la perte que représente la disparition de Philippe pour sa famille, ses amis, ses collègues, les membres de La Revue du MAUSS et ses étudiants, c’est aussi une voix qui manquera certainement dans les débats scientifiques et politiques actuels.
 
                                                           Christian Lazzeri
 
 
 Ouvrages de Philippe Chanial
 
 
Justice, don et association: la délicate essence de la démocratie
La Découverte 2001
 
La société vue du don
Manuel de sociologie anti-utilitariste appliquée
La Découverte, 2008
 
La délicate essence du socialisme
L'association, l'individu & la République
Bord De L'Eau, 2009
 
Philippe Chanial, Jean-Louis Laville, Alain Caillé, Bernard Eme, Éric Dacheux,
Association, démocratie et société civile
La Découverte, 2010.
 
La sociologie comme philosophie politique et réciproquement
La Découverte 2011

Nos généreuses réciprocités. Tisser le monde commun
Actes Sud 2022
 
On consultera aussi ses nombreux articles dans La revue du Mauss

Présentation

Le Sophiapol (EA 3932) est une unité de recherche pluridisciplinaire composée de sociologues, de philosophes et de socio-anthropologues. En 2020 elle réunit, toutes disciplines confondues : 16 enseignants-chercheurs, 38 chercheurs rattachés et 77 doctorants. L’unité de recherche a commencé à se constituer à partir de 2002 en se substituant au Géode (sociologie) et à l'UPRES-A8004 (philosophie). Elle en est à sa quatrième reconduction ; le rapport de la dernière évaluation, par le HCERES, est en libre accès (il suffit de cliquer ci-avant).

Le principal thème de recherche du Sophiapol a consisté, sur la période 2007-2012, en un travail autour des théories et des pratiques de reconnaissance dans les sociétés contemporaines. Ce travail visait, d'une part, à tenter de construire un concept de reconnaissance suffisamment riche et précis pour rendre compte des pratiques sociales contemporaines et pour permettre à la philosophie et aux sciences sociales de mener des recherches communes de nature théorique et empirique ; de l’autre, il mettait ce concept au travail dans cinq axes de recherche : reconnaissance et construction de l'identité ; reconnaissance et intégration sociale ; les conflits de reconnaissance ; les problèmes éthiques de la reconnaissance ; les politiques de reconnaissance.

À partir de 2012, ces thèmes ont été collectivement redéfinis en une série d’axes et de sous-axes, qui permettaient de renforcer les collaborations au sein de l’unité de recherche tout en intégrant la richesse des travaux en cours. Quatre axes ont été définis en 2012-2013, un cinquième a été formulé au cours de l’année 2016-17. Le second des quatre axes initiaux a par ailleurs fait l’objet d’une redéfinition fin 2017. Aujourd’hui, ces cinq axes sont les suivants :

Le blog d'actualité

Découvrez le blog d'actualités de la recherche en sociologie, philosophie et anthropologie politiques

Publications Sophiapol

Mis à jour le 06 janvier 2025